Philosophie sentimentale by Philosophie sentimentale

Philosophie sentimentale by Philosophie sentimentale

Auteur:Philosophie sentimentale [sentimentale, Philosophie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: essai
Publié: 2013-06-13T12:48:46+00:00


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Michel de Montaigne

« Le but de notre carrière, c’est la mort. »

Michel de Montaigne

Montaigne meurt dans son manoir à cinquante-neuf ans, le 13 septembre 1592. Il était temps. Depuis des années, la santé désertait ses reins et la joie, son cœur. Il souffrait de coliques néphrétiques, de crises de goutte et de poussées de mélancolie qui, jour après jour, le rendaient inapte aux brefs plaisirs de l’existence – même au « déduit » que Marie de Gournay, sa jeune admiratrice, aurait pu lui faire goûter.

Au cours de sa vie, Montaigne fut le témoin direct de désastres humains, comme la répression royale qui rougit les rues de Bordeaux du sang de ses bourgeois révoltés, la folie meurtrière qui s’empara des protestants et des catholiques, et, pour finir, les ravages de la peste, qui emporta son ami Étienne de La Boétie. Mais, pour lui, la plus sournoise des dévastations était imputable à la vieillesse. Il la considérait comme l’ennemie qui ne désarme jamais, dont les attaques se font en douce et dont les destructions ne sont visibles qu’après coup.

La vie est une infection. Une contamination du néant par le temps. Sitôt contractée, sauf à en finir par le suicide ou par un accident, elle persiste jusqu’à épuiser le corps et l’âme. À quarante ans, Montaigne craignait que, chez lui, la déchéance physique précéderait celle de son esprit. Le jour viendrait où son propre corps lui paraîtrait si vieilli qu’il le regarderait avec éloignement et honte – comme cela arrive dans un vieux couple, où le mieux conservé des deux compagnons assiste, malgré lui, avec un rien de répugnance, à l’irrémédiable décrépitude de l’autre. Sa crainte ne fut pas déçue. « J’ai des portraits de ma forme de vingt-cinq et de trente-cinq ans, consignait-il peu avant de mourir ; je les compare avec celui d’asteure : combien de fois ce n’est plus moi ! Combien est mon image présente plus éloignée de celles-là que de celle de mon trépas ! » Hormis certains traitements pris dans des villes d’eaux qui avaient pu le soulager, Montaigne tenait la médecine pour une foutaise et les doctes qui la professaient pour de funestes charlatans. Contre le mal de la vieillesse, qu’il définissait comme la mort « qui se coule naturellement et imperceptiblement » en lui, il ne voyait d’autre remède, justement, que la mort elle-même. Et pas plus que les médecins ne réussissaient à ralentir le processus de démolition de son corps, les philosophes qu’il lisait ne lui permettaient de calmer son angoisse de l’impotence. La seule sérénité à laquelle il goûtait par intermittence lui venait du marasme de ses organes. « Nous appelons sagesse la difficulté de nos humeurs, le dégoût des choses présentes. » Mais, en même temps, le souvenir des « réjouissances » à jamais perdues le hantait et le torturait. Puisque la vie lui réservait davantage de déplaisirs que de plaisirs, il tâchait de se résigner à la perspective d’une fin proche. Jadis, même loin « des faubourgs de la vieillesse », pas un jour ne passait sans qu’il ne pensât déjà au dernier moment.



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